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Jobert 3

 

Jobert se sentait nauséeux. Il n’avait pourtant pas abusé de la bibine hier soir. Est-ce qu’il commencerait à lâcher la rampe ? Grave.

Retrouver les potes chez Mimile le vendredi soir datait du temps où ils turbinaient chez les condés, histoire de palabrer sur le taf de la semaine et d’engager sérieusement le week-end. Une habitude à laquelle ils restaient farouchement accrochés, quasi vitale depuis que la retraite les avait tous chopés et sans laquelle ils auraient eu vite fait de troquer la belote contre le sudoku.
Jusqu’à présent, aucun de ses anciens collègues ne manquait à l’appel. Mais il devait bien se l’avouer : chaque fois qu’il poussait la porte du bouiboui, Jobert craignait d’apprendre que l’un d’eux avait fait ses valoches, direction chez saint Pierre. Raison de plus pour remettre une tournée et trinquer aux vivants !
D’autant que depuis qu’il avait congé jusqu’à perpette, il arrivait que Jobert, en se réveillant, ne sache plus trop quel jour on était. Paraît que ça pouvait être un début d’Alzheimer : la guigne ! Le vendredi restait donc un précieux repère. Un fanal dans son crépuscule. Peut-être même une bouée de sauvetage.
Jobert se leva pour aller chercher de l’aspirine. D’où venaient ces foutus bourdonnements ? Il avait les esgourdes ensablées ? La vieillerie menaçait-elle de faire un nouveau ravage ? Par moment, on aurait dit que sa cabèche jouait à la baballe. D’un côté, puis de l’autre : droite, gauche, droite, gauche ! Une vraie finale de Grand Chelem.
Il jeta méchamment deux cachets dans le verre d’eau qui se mit à buller, avant de s’affaler sur le vieux canapé pour tenter d’oublier le malaise. Sauf qu’essayer de ne pas y penser le faisait gamberger davantage. Droite, gauche. Droite, gauche. On jouait les prolongations.
Pourtant, même la politique avait cessé la baston. Faut dire qu’aux dernières élections, droite et gauche avaient pris une rude déculottée : coiffés au poteau par un jeune briscard totalement inconnu au bataillon, qui les avait mis au chomdu pour cinq ans. Sacrément gonflé le petit gars de ch’nord. Du coup, les vieux de la vieille avaient dû débarrasser fissa le plancher de l’hémicycle, où ils avaient l’habitude de venir pioncer, pour laisser le champ libre à « la jeunesse ». Dont une moitié de meufs, question de respect de la parité : une gonzesse par mec, ça leur donnerait certainement quelques bonnes idées à ces lascars ! Vu qu’ils ramaient quasiment tous dans le même sens désormais, exit les batailles de polochon, et gare aux frondeurs. D’autant que le nouvel élu, fringant comme un coq de paroisse, avait pris soin d’essaimer quelques énarques expérimentés – estampillés incorruptibles -, dans cet aréopage béotien, histoire de rappeler qu’on n’était pas là pour faire de la figuration. En bref, en bon taulier qui se respecte, le boss aurait toujours raison et il fallait profiter de l’été pour faire passer en force quelques lois qui avaient suffisamment mijoté.
Jobert se dit que ses feuilles feraient bien d’en prendre de la graine et d’arrêter de se bouffer la couenne. « Vos gueules ! Je ne veux voir qu’une seule tête… et c’est la mienne ! Garde à vous ! Et si vous continuez à me les briser menu, je n’hésiterai pas à utiliser le 49.3 pour instaurer la loi du silence… Capito ! »

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