Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

LA FETE

 

L’invitation était sans équivoque : « Rejoignez notre bacchanale, à pied et déguisés en arbres ! » Ils s’y rendirent. Ce n’était vraiment pas une bonne idée… (sujet de P. Perrat)

 

En découvrant l’affichette scotchée sur la porte de l’immeuble, elle avait soupiré : la sempiternelle fête des voisins était de retour ! Une obligation de bon voisinage à laquelle ils s’étaient résignés à participer chaque année, pour ne pas faire bande à part. De là à en faire une sauterie écolo, pompeusement appelée « bacchanale », manquait plus que ça ! Elle se demanda si cette idée saugrenue avait germé dans la tête du nouveau locataire. Un gars un peu bizarre, apparemment célibataire, qui roulait en vélo et jouait du violon. Plutôt bien, sauf quand ça s’éternisait. Mais elle n’avait jamais osé taper à sa porte pour lui demander de cesser ses gammes.

Faute d’une mauvaise excuse, ils iraient donc. Restait maintenant à trouver un déguisement sur le thème du végétal ! Elle avait consulté internet, acheté du papier crépon, essayé de laisser parler son imagination avant de se résoudre à trouver un magasin de location de costumes. Ils en étaient ressortis nantis de deux tenues qui feraient illusion. Lui en chêne, elle en saule : « Parfait pour exprimer ton côté pleureuse ! » Elle l’aurait giflé.

A l’heure dite, ils s’habillèrent. Chacun de son côté, histoire de ménager un petit effet de surprise réciproque. Marchant de long en large, elle s’amusait à faire voler toute cette fausse végétation verdoyante qui couvrait ses épaules : ridicule mais marrant ! Sorti de la salle de bain, il se planta devant la glace en prenant des poses de chêne tortueux : lui au moins avait belle allure ! Elle décréta qu’elle garderait ses chaussures jusqu’au lieu de la fête.

Un charme vint à leur rencontre. Sous le camouflage, elle reconnut le nouveau voisin.

- Voulez-vous un verre de sangria ? Sans attendre sa réponse, il lui tendit un gobelet en plastique rempli à moitié.

Elle jeta un coup d’œil furtif à l’intérieur du garage réquisitionné en cas d’averse, avant de repérer une table et quelques chaises plantées sur le minuscule carré de pelouse. Elle se dit qu’ils étaient sans doute en avance et vérifia l’heure à sa montre.

Le temps passa, de plus en plus lentement. Le chêne et le charme tentaient de faire perdurer une conversation qui s’étiolait et dont elle ne percevait que des bribes. On attendait toujours les autres.

Prétextant la chaleur, elle se réfugia dans le box et scruta les fenêtres alentour. Rien ne bougeait, à croire que l’immeuble avait été déserté.

Peu à peu monta en elle un malaise indicible, qu’elle chassa comme une mouche d’été. Mais il revint et se mit à grossir irrémédiablement.

Brusquement, elle se leva pour faire barrage à sa fureur.

- Ça suffit ! déclara-t-elle. Et elle enfila ses sandales, abandonnant ses deux compagnons interloqués.

Lui rentra une demi-heure plus tard, discrètement. Mais le feu couvait encore.

- Je te l’avais dit que c’était une idée à la con !

Il s’abstint de tout commentaire, en pensant qu’elle avait raison, une fois de plus.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :