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Lettre capitale

Cherlock ouvrit la porte du 221b Baker street, heureux de retrouver son home.

Certes sa petite escapade en banlieue lui avait montré combien il pouvait être sensible aux charmes d'une jeune femmme, mais définitivement méfiant des personnes du beau sexe - surtout quand elles lui faisaient un tel effet -, il s'était bien gardé de la revoir et avait repris le premier train pour la capitale londonnienne.

Il ôta son vieux manteau gris, fidèle compagnon de ses virées campagnardes, et déposa sa casquette sur le fauteuil dans l'entrée, jouant tour à tour son rôle et celui d'un hypothétique valet de chambre, quitte à en rajouter pour parfaire la comédie :

- Bon voyage monsieur ?

- Oui Félix, excellent  ! (le nom du pseudo domestique changeait selon les jours et les humeurs de Cherlock : ce matin, il se sentait l'âme plutôt légère et ce prénom lui sembla tout à fait de circonstance).

Il se fit à lui-même une petite révérence, tourna les talons (faillit se prendre les Weston dans le tapis au passage), puis entra dans la bibliothèque où tout semblait l'attendre dans un calme quasi religieux. La femme de chambre avait interdiction formelle de toucher à quoi que ce soit dans cette pièce, y compris la poussière. Cherlock entendait que ceci fut respecté et congédia plus d'une "aventurière" qui avait osé caresser de son plumeau le bureau de l'auguste détective.

Watson était d'ailleurs pour ainsi dire le seul autorisé à pénétrer dans l'antre du maître avec lequel il partageait son excellent whisky, et parfois - disaient les mauvaises langues - une ligne de coke. Sans compter évidemment le plaisir de décortiquer des enquêtes à n'en plus finir que Cherlock ponctuait des éternels "élémentaire, mon cher Watson !" que tout le monde connaît.

Le détective entendit sonner onze coups au clocher de Westminster et se dirigea vers son bureau pour y prendre son courrier qu'il avait largement le temps de consulter avant le déjeuner. Watson était passé la veille et connaissant le côté tatillon - voire magniaque - de son ami, avait posé le petit tas d'enveloppes sur le Times. Cherlock en extirpa celles aux couleurs pastels, dont certaines sentaient la violette ou le réséda. Depuis que sa notoriété était reconnue, le détective faisait l'objet d'assiduités féminines qui, comme on l'a vu plus haut, n'avaient pas franchement ses faveurs. Il plaça donc les petites missives au bord de son bureau, histoire de les faire tomber comme par maladresse dans la poubelle. Affaire réglée ! D'autres que lui auraient également jeté les prospectus - de plus en plus nombreux - qui vantaient les mérites de tout un tas de choses ou lieux à découvrir. Mais Cherlock aimait à les conserver et quand Watson lui en avait demandé la raison, il lui avait souri et répondu simplement qu'il était bon de garder ces réclames "à tout hasard !..." Le docteur n'avait pas cherché à en savoir davantage, notant tout de même que Cherlock n'avait, à sa connaissance, jamais utilisé un de ces tracts pour résoudre une enquête. Mais Dieu seul savait ce qu'il faisait de ses soirées en solitaire : peut-être aimait-il à s'encanailler de temps à autre - dans la plus parfaite discrétion - et fréquenter un de ces nouveaux établissements qu'on appelait "fast-food".

Donc, Cherlock ayant fait le tri de son courrier, prit son journal et la seule enveloppe qui lui sembla digne d'intérêt. Elle ne comportait aucun signe extérieur qui permette d'en deviner la provenance ni le contenu.

Il s'assit confortablement dans un fauteuil à l'odeur de vieux cuir, posa le journal sur ses genoux et ouvrit la missive. A première vue, c'était une lettre dactylographie et Cherlock sortit ses bésicles car sa vue avait un peu baissé depuis quelques temps. Le papier était quelconque, trop léger, ce qui était le signe qu'il émanait d'une entreprise ou d'une administration peu fortunée. Au premier coup d'oeil, il repéra que la lettre "a" était systématiquement imparfaitement calligraphée : deuxième signe qui prouvait cette fois que le matériel utilisé pour taper le courrier n'était pas de toute première jeunesse. Cherlock fronça les sourcils et ajusta sa vue pour découvrir enfin l'objet de ce courrier. Objet qui était écrit en gras - ce qu'il trouva fort irrespectueux et un brin agressif.

Il s'y reprit à deux fois pour déchiffrer une suite de lettres qui, au premier abord, semblait incrompréhensible : C S G - C R D S. Fichtre !

Cherlock réfléchit un instant et laissa divaguer son cerveau qu'il sollicitait invariablement en de telles circonstances, même s'il prenait des allures de vieux disque dur jamais défragmenté. Certes les temps de réponses étaient parfois un peu lents mais il y en avait toujours une et c'était souvent la bonne. N'empêche que cette fois-ci le "computer" ramaît ; ce qui contraria Cherlock. Il décida donc de poursuivre sa lecture, espérant en apprendre davantage.

Ce qu'il lut alors lui arracha une série de jurons qu'heureusement personne n'entendit (il avait l'habitude dans ces situations exceptionnelles de jurer en français) : "Merde !..." On épargnera au lecteur la série complète des invectives proférées par un Cherlock fou de rage et qu'il égratignait comme un chapelet, le côté respectueux en moins !

Il s'était brusquement levé et marchait de long en large, faisant des moulinets avec la lettre comme s'il tenait dans sa main un objet satanique. "Contribution Sociale Généralisée ! Et le reste !!! Ils se foutent du monde : 400 shillings, rien que ça ! Et payable à la fin de ce mois !" (on en avait déjà franchi la deuxième quinzaine...)

Il faut se rappeler que si Cherlock avait désormais pignon sur rue, son activité n'en était pas moins fluctuante, particulièrement en ce début d'année où toute la presse n'avait pas manqué de se faire l'écho d'un crack boursier qu'on disait "mondial" et qui rendait les clients plutôt frileux. Le résultat, pour Cherlock aussi, était que l'argent circulait moins bien, sauf dans un seul sens apparemment : celui des administrations chargées de récupérer, coûte que coûte (c'était le cas de le dire) les impôts et autres charges qui, eux, ne baissaient pas. A preuve cette lettre dont Cherlock avait tout de suite senti le côté petit, mesquin, voire injurieux qui ordonnait le paiement sans délai.

Le téléphone sonna et le détective eut quelques difficultés à retrouver son flegme légendaire :

- Monsieur Holmes ?

- A qui ai-je l'honneur ?...

Le lecteur imaginera aisément le genre de propos que Cherlock débita à ce consciencieux agent de l'administration fiscale venu vérifier que son courrier était bien arrivé à destination...

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