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coccinelle et bourdon

Depuis que sa coccinelle s'était envolée un bourdon n'avait plus le moral.  « J'ai besoin d'y voir clair, se disait-il, mais à qui m'adresser ? ». Un ver luisantoffrait ses services dans une feuille de choux. Il nota l'adresse végétale et s'y rendit sur le champ.

Traversant le bocage ombragé, le bourdon fit halte sous une feuille de mûrier pour se mettre à l’abri du soleil ardant. Dans sa hâte, il avait oublié son canotier et suait à grosses gouttes. De loin, il pouvait voir le père François courbé sur sa charrue. Paraît que lui aussi, sa Germaine elle s’était fait la malle. Pas vrai, qu’est-ce qui leur prenait à toutes ces frangines d’aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte ! Est-ce qu’on n’était bien ici, dans ce petit coin de campagne où la vie était si paisible, rustique pour ainsi dire. Peut-être que c’est pour ça qu’elles s’ennuyaient les demoiselles. La sienne, il l’avait rencontrée au bal champêtre du 14 juillet, l’an dernier. Ils avaient dansé jusqu’à bout de la nuit, elle était si jolie dans sa robe rouge à pois qui lui allait si bien au teint. Il s’était mis sur son 31 pour l’occasion. Une grosse larme coula sur sa joue.

S’étant ressaisi, il reprit sa route vers le village où l’attendait son rendez-vous. L’échoppe du gazetier était grande ouverte sur la rue ; le vendredi, jour de marché, les badauds affluaient. Il se mêla à la foule, un instant grisé par les cris des marchands qui haranguaient les passants. Pour un peu, il en aurait oublié sa déconvenue. Une grosse bestiole le bouscula sans s’excuser, le faisant sortir de sa douce torpeur. Il entra chez le faiseur d’articles.

Dans l’échoppe un peu sombre régnait un joyeux bazar : des tonnes de vieux canards empilés. Au fond de la boutique, il aperçut le scribouillard, lunettes sur le bout du nez, qui tapait rageusement sur une vieille Remington. Il toussa pour se faire remarquer et, sans lever les yeux, l’autre lui fit signe d’approcher. Je suis à vous dans un instant ! dit-il, en opinant du bonnet qu’il avait lumineux.

Ca dura une éternité, on ne lui avait même pas offert un siège pour s’asseoir : y  en avait-il seulement un d’ailleurs, dans tout ce fatras poussiéreux ? Il trouva un coin de table pour se poser et reprit sa gamberge.

Faire écrire une petite annonce, certes, mais pour dire quoi : Reviens, je t’aime… ou bien : Je t’attends toujours… ou encore : J’ai un gros poids sur le cœur depuis ton départ…

Bercé par le cliquetis de la bécane à écrire, il finit par s’assoupir. Et rêva de sa belle qui revenait dare-dare, toute énamourée, rouge de confusion et repentante de l’avoir abandonné pour un Bombini de passage. Refusant d’en entendre davantage sur leur virée transalpine, ils reprirent, aile contre aile, le chemin de leur petit nid…

Monsieur, monsieur ! Réveillé en sursaut par le gros ver binoclard, il lui fallut un moment pour reprendre ses esprits. L’autre s’impatientait, il n’avait pas que ça à faire ! Non, décidément, il devait encore réfléchir, il était désolé d’avoir dérangé, il reviendrait… Il quitta l’officine précipitamment.

Dans la rue désertée, le garde champêtre, perché sur son échelle, tendait d’une maison à l’autre des kilomètres de banderoles bariolées. Sur la place, quelques intermittents désabusés finissaient de monter une estrade pour le bal. Mais oui, c’était demain le 14 juillet et il le sentait : elle viendrait, elle viendrait ! C’est comme ça, les bourdons, ça cafarde, et puis ça s’envole à nouveau. Et c’est ainsi qu’il quitta le village, le cœur en goguette, rempli de cette belle certitude : elle reviendra, elle reviendra !…

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